Phénomène relativement nouveau dans la capitale de l’ouest algérien, il vient rappeler que même si le travail des enfants ne dépasse pas les 05% (selon les chiffres du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale pour 2014), il reste une réalité tangible dans un pays où la déperdition scolaire continue de faire des dégâts (entre 400.000 et 500.000 élèves chaque année) alors que la formation professionnelle peine à attirer les exclus de l’école.
Les mouchoirs à la place des sachets en plastique
Il y encore une quinzaine d’années, les enfants mineurs - que la faillite de l’école algérienne, sous la férule de l’ancien ministre Aboubakr Benbouzid, avait jetés à la rue - écumaient les marchés des fruits et légumes en vendant des sachets de plastique à 01 DA la pièce, aidaient les ménagères à porter les provisions pour quelques dinars ou revendaient des cigarettes aux coins des rues.
Aujourd’hui que les commerçants offrent les sachets en plastique gratuitement et que l’Algérie a consolidé sa politique de protection de l’enfance contre le travail et contre toutes les formes d’exploitation, les enfants éjectés du système scolaire, particulièrement ceux issus de milieux défavorisés, ont trouvé d’autres filons pour se faire de l’argent : ils s’improvisent gardiens de voitures près des petits marchés de quartiers ou à proximité du Centre des conventions d’Oran, à l’occasion des manifestations économiques, parfois plongeurs ou serveurs dans les cafés, ramassent des produits recyclables à écouler à la casse, revendent des galettes faites maison, des casse-croutes et rafraîchissements à la lisière des grands périphériques et routes nationales ou proposent des boites de chewing-gum ou de mouchoirs pour voitures près des ronds-points et des feux tricolores.
«Je suis là tous les jours, entre 10h et 15h, en attendant de m’inscrire dans un centre de formation professionnelle pour la prochaine session. Mais pour moi qui n’ai que le niveau de 4ème année moyenne, je ne peux espérer grand-chose», explique avec un sourire Mohamed, 17 ans, vendeur de mouchoirs près de la gare routière des Castors. Vêtu d’un jogging noir, les cheveux coiffés à la Ronaldo, ce garçon «se partage» le feu rouge avec deux compères, Noureddine, 20 ans, sans emploi, et Oussama, 14 ans, manifestement déjà en voie de déscolarisation.
Milieux défavorisés
Tous trois issus d’El Hassi - quartier populaire situé à la sortie sud-ouest d’Oran, également connu pour abriter la population subsaharienne - ils disent ne se faire aucune illusion sur l’école et son impact sur leur avenir : «Comme beaucoup de nos amis, nous sommes à l’affût de LA grosse affaire qui nous sortira de la galère !», affirme encore Mohamed pendant qu’Oussama, une cigarette entre les doigts, s’approche en tenant précautionneusement un gobelet en plastique contenant du café noir…
Leurs amis, ce sont également des enfants revendeurs de mouchoirs, tous issus d’El Hassi, qui évoluent quelques dizaines de mètres plus haut, en allant vers le siège régional de l’ENTV et, plus bas, en direction du rond-point d’El Bahia. Ils s’approvisionnent dans le quartier très commerçant de M’dina J’dida en boites de mouchoirs qu’ils disent acheter 80 DA l’unité pour les revendre 100 DA pièce. Une fois leur marchandise écoulée, certains rentrent chez eux alors que les autres s’en vont traîner dans le complexe sportif des Castors où, très souvent, des collégiens pratiquent le sport sous les yeux de leurs professeurs.
A l’origine de la criminalité juvénile
Dans les autres quartiers populaire comme Hay Dhaya, anciennement Petit Lac, El Hamri, Médioni, d’autres adolescents, prématurément déscolarisés, ont «choisi» de fouiller les poubelles du tout-Oran et de collecter les objets en cuivre ou en plastique pouvant être revendus à la casse ou aux brocanteurs : «Le travail des enfants, c’est le l’antichambre de la drogue et des trafics en tout genre», avertit cette femme à Hay Dhaya en observant deux enfants poussant une charrette emplie d’objets hétéroclites. Et de fait, selon des études rendues publiques par la gendarmerie nationale, ces deux dernières années, il apparaît que la déperdition scolaire est à l’origine de 39% de la délinquance juvénile (notion recouvrant tous les comportements prohibés par la loi, comme le vol, le trafic de drogue ou les agressions, qui sont le fait de mineurs) et que l’échec scolaire est responsable de l’augmentation de la criminalité juvénile : «Beaucoup de jeunes élèves ayant connu l’échec scolaire nous disaient : ‘Je n’avais pas la tête aux études. L’école était pour moi un enfer’», nous affirme le sociologue Mohamed Mebtoul en affirmant qu’une «remise en question du système éducatif» est une urgence si l’on veut éviter que la délinquance juvénile ne se mue en un phénomène de société.